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Interview de Sylvain Breuzard, président-fondateur de Norsys, président du Conseil d’administration de Greenpeace

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Sylvain Breuzard, président-fondateur de Norsys, président du Conseil d’administration de Greenpeace et auteur de La permaentreprise : Un modèle viable pour un futur vivable, inspiré de la permaculture

En début d’entretien, Sylvain Breuzard nous a confié avoir eu la chance d’enfiler les bottes du Chat botté et ainsi, de parcourir 20 ans en un pas. Plus que la chance, nous retiendrons la curiosité qui nourrit l’intuition et le courage d’aller plus loin, de chercher et d’expérimenter de nouvelles façons de gérer, de manager et de développer. Puisque des talents de conteur ne sont pas de trop pour embarquer des collaborateurs, des pairs mais aussi les jeunes dans un nouveau modèle entrepreneurial, à la manière du Petit Prince, nous lui avons demandé : « Sylvain, dessinez-nous l’entreprise de demain ? »

Quel a été votre parcours à la tête de Norsys ?

Norsys s’est développée très tôt selon le modèle vertueux de la performance globale que j’ai souhaité pousser le plus loin possible. Le déclic a eu lieu en 1998, au moment de la loi sur les 35 heures. Le secteur informatique préparait alors le passage à l’an 2000 et à l’Euro – un marché très lucratif mais ponctuel –. Cela m’a poussé à réfléchir à l’avenir. Sans être devin, j’ai eu l’intuition que l’équilibre entre la vie professionnelle et la vie personnelle allait devenir essentiel. J’ai proposé aux salariés un projet à même d’absorber l’impact financier de 47 jours de CP et de RTT. En tant que prestataire informatique, cela passait nécessairement par davantage de valeur ajoutée. Nous avons développé nos premiers programmes de formation en ce sens. Ces décisions ont été décisives pour Norsys tant ce niveau de formation et d’expertise constitue, aujourd’hui encore, la marque de fabrique de l’entreprise. Nous avons d’ailleurs créé notre propre Université d’entreprise.

Comment le concept de permaentreprise est-il né ?

Le monde du travail enferme rapidement dans un réseau professionnel, a fortiori lorsque l’on devient dirigeant. Il est important de rester en prise avec le terrain et avec les autres. Mon cheminement vers la permaentreprise est corrélé à une série de prises de conscience personnelles liées à mon implication dans le monde associatif, que ce soit avec le Réseau étincelle que j’ai créé, au Centre des jeunes dirigeants (CJD) que j’ai présidé, au sein de Greenpeace que je préside ou encore, en intégrant le Conseil national du développement durable.

« Cet engagement m’a donné plus de lucidité sur les problèmes qui se posent à notre société.
De la lucidité à l’action, il n’y a qu’un pas. »

Dès 2005, nous nous sommes engagés dans la lutte contre les discriminations avec le CV anonyme, la formation sur les préjugés, la refonte des process de décision et, bien sûr, l’égalité salariale hommes/femmes. Le bilan carbone a suivi en 2007, etc.

En 2019, j’ai demandé à un groupe de travail de challenger le concept de la permaculture pour tenter de l’appliquer à Norsys. Ensuite, j’ai consulté d’anciens grands patrons à la tête de fondations engagées dans la préservation de la planète sur l’intérêt d’une telle démarche. Ils m’ont dit de foncer.

La permaentreprise repose sur trois principes éthiques : prendre soin des êtres humains ; préserver la planète ; se fixer des limites et redistribuer la richesse créée. De ces principes découlent 23 objectifs d’impact avec des seuils à atteindre. Cette démarche est symbolisée dans le logo de Norsys par les trois anneaux rouge (l’humain), bleu (l’économie) et vert (l’environnement), enlacés et interdépendants. Concrètement, pour chaque projet, nous devons nous assurer que chaque principe éthique est mis en œuvre.

« A travers ce modèle, j’essaie de démontrer qu’en anticipant les mutations
et en adoptant une vision globale, l’entreprise y gagne un jour ou l’autre. »

Le meilleur exemple d’anticipation gagnante est le télétravail. Cette évolution n’allait pas de soi puisqu’une partie de nos collaborateurs travaille chez nos clients. Pourtant, nous avons sauté le pas en 2016 car il s’agit d’un important levier de réduction de nos gaz à effet de serre. En 2019, le télétravail concernait déjà 40 % de nos collaborateurs. De sorte qu’au début du confinement, alors que de nombreuses entreprises ont dû fermer plusieurs semaines, nous n’avons presque rien eu à faire et l’année 2020 a été une très bonne année pour Norsys.

Quelle est votre recette pour anticiper ?

Il ne s’agit pas tant d’être visionnaire que de mener un travail de recherche et de décryptage. L’enjeu consiste à accumuler et analyser les informations de manière décloisonnée. Ce qui nous arrive avec la COVID avait été annoncé dès 2003 ! L’accès à la connaissance est donc crucial. Je me désole de voir les jeunes lire uniquement les titres et les sous-titres sur les réseaux sociaux. Sur ce point, j’estime que l’entreprise est le 3ème étage dans l’accès à l’information et à la connaissance, après la famille et le monde scolaire et universitaire.

Sur quelles ressources vous appuyez-vous pour exercer votre leadership et convaincre vos équipes ou vos pairs ?

Plus que l’énergie déployée ou la méthode utilisée pour embarquer un collectif, ce qui compte, c’est la crédibilité et la confiance que l’on inspire en tant que personne qui ose faire les choses ou qui ose faire différemment. Cela s’acquiert peu à peu par des expérimentations et des résultats. En 2019, aux prémices de la permaentreprise, certains collaborateurs ont dit : « Sylvain nous a déjà fait le coup. Au début, on ne comprend rien mais, à chaque fois, cela donne une force incroyable à Norsys ».

Quel est votre défi actuel ?

J’ai l’espérance d’embarquer, de manière très volontariste, des dirigeants dans un autre modèle de développement. Jean Mersch, le fondateur du CJD, a dit : « ce ne sont pas les masses qui font l’histoire, mais les valeurs qui agissent sur elles par les minorités convaincues ». C’est ce que j’essaie d’apporter à travers le modèle de la permaentreprise.

« Ce qui me guide, c’est d’ouvrir les esprits sur un autre positionnement de l’entreprise pour sortir de la pensée mondiale unique délétère autour de la maximisation des profits. »

Quel message souhaitez-vous adresser aux jeunes et futurs leaders en entreprise ?

Je crois beaucoup au pouvoir des jeunes, à l’instar des 30 000 signataires du Manifeste pour un réveil écologique qui ont fait peur aux grands groupes par leur détermination.

« Aussi, je leur dis : n’ayez pas peur d’être très exigeants.
Votre exigence fera changer le monde de l’entreprise. »

Dans quelques mois, par exemple, lorsque le monde sera moins contraint, certaines entreprises vont être tentées de fermer le robinet du télétravail. Je suis convaincu que si les jeunes quittent ces entreprises, ils feront bouger les lignes.

La permaentreprise peut-elle s’appliquer au monde associatif et des ONG ?

Le modèle de la permaentreprise peut tout à fait être appliqué par les associations et les fondations, à l’instar du Réseau étincelle qui va bientôt expérimenter la perma-association. D’une part, on peut tout construire sur les principes éthiques de la permaentreprise, y compris un projet personnel. D’autre part, seule une vision globale des enjeux avec des objectifs variés et interdépendants est susceptible de faire évoluer les choses dans le bon sens.

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