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« L’attractivité des métiers dans le monde de la santé et du médico-social : de la nécessité de cultiver une véritable politique managériale »

Table-ronde

SANTE

Le 23 juin 2022, la Fédération hospitalière française (FHF) reconnaissait avec discrétion des difficultés de recrutement hétérogènes selon la taille des établissements tout en constatant une hausse globale des effectifs (+3% entre 2019 et 2020). La crise sanitaire a agi comme un catalyseur plaçant comme centrale la question de l’attractivité dans les services et établissements les plus sollicités au sein du système de santé dont certains ont même été contraints de fermer : urgences, aide à domicile, hébergement des personnes âgées.

Dans ce contexte, le cabinet de recrutement YourVoice a tenu à organiser une conférence sur les enjeux de l’attractivité des métiers dans le monde de la santé et du médicosocial à l’occasion de la 16ème édition du Forum National des Associations et Fondations organisé le 20 octobre dernier.

Ce débat ne peut se concentrer sur le seul déficit de rémunération, certes réel, cela reviendrait à occulter le profond mal être du personnel causé par la perte de sens dans leur engagement et un véritable manque de reconnaissance pour le travail. Aussi, loin de tout positionnement idéologique, il est nécessaire aujourd’hui d’observer au sein des différents secteurs (public, privé à but lucratif, privé à but non lucratif) les organisations managériales afin de faire émerger les bonnes pratiques qui permettraient d’attirer les talents et de pourvoir aux besoins importants.

Benoit Péricard, Consultant Senior chez YourVoice, a animé la table-ronde. Dans son propos introductif, il a questionné Denis Piveteau, Conseiller d’Etat et auteur en février 2022 du rapport « Experts, acteurs, ensemble pour une société qui change », sur les leçons portées par son étude et notamment sur le lien entre le pouvoir d’agir des personnes accompagnées et les personnels chargées de cet accompagnement.

Denis Piveteau a tenu à rappeler l’importance que représente l’enjeu du temps : prendre le temps de réaliser les différentes tâches afin de pleinement répondre au pouvoir d’agir des personnes accompagnées.

1. Le recrutement dans les secteurs du sanitaire du médico-social et du social nécessite la construction de réelles stratégies

Nos intervenants sont unanimes : il est nécessaire de mettre en œuvre de nouvelles stratégies de recrutement. En effet, les difficultés ne se concentrent pas uniquement sur le manque de main d’œuvre mais bien sur l’adéquation entre les conditions de travail et les nouvelles attentes des candidats.
Le CDI n’est plus la voie maîtresse car les candidats sont davantage à la recherche de flexibilité : ce qui passe par le recours au CDD ou à l’intérim mais aussi au choix d’un temps de travail bien défini et équilibré avec le temps personnel.

Face à ce nouveau contexte, les recruteurs sont obligés de recourir à des stratégies de recrutement afin de « séduire » les candidats en proposant des parcours de carrière et de la flexibilité sur l’organisation du travail. Ainsi pour Marie-France Begot Fontaine (DG UGECAM IDF) le recrutement demande plus de temps et d’inventivité de la part des recruteurs.

A titre d’exemple, Saïdi Mesbah (DRH VYV3) assure que 1 000 postes restent vacants chez VYV3 et ce malgré des recrutements qui se font bien ; toutefois les candidats optent plus facilement pour des CDD ou des « jobs à la carte ».

Les organisations privées non lucratives restent encore partiellement préservées de cette situation en raison de leurs valeurs fortes et, pour certaines, de la présence des bénévoles sur le terrain.

En Europe, la France n’est pas le seul pays à faire face à cette situation : ses voisins Allemands et Espagnols connaissent des tensions similaires, cependant il est nécessaire de rappeler qu’un infirmier Français est payé 10% de moins que la moyenne de l’OCDE quand les infirmiers européens sont payés 20% de plus.

Thibault Ronsin (DRH Groupe SOS) pointe deux autres difficultés : la fuite des compétences et les limites des cadres conventionnels.
Les contextes d’attractivité diffèrent d’un territoire à l’autre si bien que certains territoires doivent faire face à la fuite des compétences vers des territoires offrant de meilleures opportunités, parce qu’étant plus développés économiquement, culturellement…

Les secteurs sanitaire et médico-sociaux sont très encadrés par différentes conventions et réglementations qui limitent les possibilités en matière d’innovations et d’initiatives. Et même si ces cadres devenaient plus souples, la culture managériale est tellement hiérarchisée qu’elle n’est pas propice à de telles évolutions. A titre d’exemple, le chef de service (dans un hôpital ou un établissement) n’est toujours pas considéré comme un manager.

Aussi, il est impératif d’avoir conscience que la vocation ne suffit plus pour travailler dans ces secteurs, les personnels sont en attente d’évolution et de nouvelles formes de travail. Concrètement, quelles formes ces adaptations doivent-elles prendre ?

2. Quelles sont les initiatives à mettre en œuvre ?

Au lieu de rester dans une position d’attente face au manque de candidats, une piste est d’être proactif en formant ses futurs candidats.
Le Groupe SOS a ainsi créé des centres de formation d’apprentissage afin de déceler ses propres talents avec l’objectif d’aller à la recherche des personnes qui ne seraient pas venues d’elles-mêmes. Ainsi le Groupe travaille avec les quartiers prioritaires de la ville et s’adresse aux jeunes sans diplôme, ni emploi et en-dehors de toute étude.

De la même manière, APF France Handicap met particulièrement l’accent sur l’apprentissage grâce à une dotation de l’ARS Ile-de-France d’1,2M€. Laurence Lecomte (Directrice régionale IDF d’APF France Handicap) rend compte de l’engagement de l’APF pour l’apprentissage qui permet d’accueillir des jeunes talents et d’apporter des nouvelles pratiques au sein des établissements.

Denis Piveteau l’assure « il faut prendre soin de ceux qui prennent soin ». C’est pour lui une des conditions de pérennité et d’adaptation du système de soin (care et cure) aux besoins des personnes prises en charge. Cette attention aux soins des soignants est particulièrement soulignée par Philippe Denormandie, participant au débat, qui fait une sévère autocritique du secteur qui, selon lui, a gravement négligé cet aspect.

Une attention toute particulière doit être portée aux directeurs d’établissement. En effet, les directeurs ont eux-aussi subi la crise sanitaire et la pénurie de personnels et ce dans la plus grande des discrétions. Pour préserver la vocation et l’engagement des directeurs il est impératif de prendre soin d’eux car ils seront les protagonistes du déploiement des futurs projets.

Pour Pascal Duperray (DG de la Fondation Saint Jean de Dieu), la qualité de vie au travail est indispensable pour assurer la qualité de l’accompagnement des personnes vulnérables. Un établissement qui n’aura pas le souci du bien-être de ses salariés aura plus de risques d’instaurer de mauvaises conditions de prise en charge des patients.

Les intervenants s’accordent sur la nécessité de faire émerger les idées du terrain en adéquation avec les spécificités propres à chaque environnement. Il apparaîtrait contre-productif d’imposer un même modèle à l’ensemble des structures, de la même manière et ce en omettant les situations propres à chaque territoire. Cette idée vient toutefois à contre-courant du modèle très hiérarchisé, très « jacobin » des secteurs.

Comme cité précédemment, il est nécessaire de répondre aux besoins de souplesse et de flexibilité et d’instaurer des parcours dans les établissements afin d’offrir des perspectives d’évolution de carrière aux salariés. L’enjeu est que chacun puisse se projeter dans la même structure sans avoir le sentiment de « stagner ».

Pour Denis Piveteau l’amélioration de l’attractivité des métiers du sanitaire et du médico-social ne pourra être réellement efficiente qu’à la condition que la prise en charge des personnes accompagnées s’inscrive dans un projet de société plus global.

3. Comment le secteur tiendra pour les 20 ans à venir ?

Nos intervenants se sont essayés à un exercice prospectif en nous délivrant les clés qui permettront aux secteurs du sanitaire et du médico-social de perdurer dans les 20 prochaines années.

D’une manière générale, chacun s’accorde sur la nécessité de renforcer la communication entre les différents secteurs (privé lucratif, privé non lucratif, public), entre les métiers et de décloisonner le travail avec les différentes instances publiques : tout le monde doit pouvoir se parler.

En complément, chaque secteur devra travailler sur trois enjeux en particulier :
1. Valoriser les compétences acquises par l’expérience et qui ne sont pas justifiées sanctionnées par un diplôme ;
2. Redonner de la confiance dans ces métiers pour donner envie ;
3. Améliorer les conditions matérielles de travail notamment par le déploiement de programmes de rénovation des bâtiments ou par une coopération avec les pouvoirs publics pour développer des solutions de transports ou d’hébergements.

La tâche à venir est rude mais nécessaire car comme l’indique Marie-France Begot Fontaine « nous sommes condamnés à réussir car nous sommes indispensables ».

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