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Interview de Samira Djouadi, Déléguée générale de la Fondation TF1

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Interview de Samira Djouadi

Le parcours de Samira Djouadi au service de l’insertion des jeunes des quartiers est inspirant et plein d’espoir. Il reflète le refus de la fatalité et la croyance dans le pouvoir des entreprises pour changer les choses. Résolue à être dans le camp des faiseurs, Samira Djouadi a pour mantra « ne rien lâcher ». Ce n’est pas pour rien que ses présidents ont l’habitude de dire qu’il vaut mieux lui dire oui ! Son interview devrait être prescrite au petit-déjeuner tant son énergie est contagieuse.

Vous avez fondé l’association SPORT’A VIE, il y a 21 ans, vous présidez plusieurs associations et vous dirigez la fondation TF1. Pouvez-vous nous parler de votre parcours ?

Tous les projets que j’ai portés ont un point commun : l’insertion des jeunes des quartiers. La création de l’association SPORT’A VIE, avec un groupe d’amis enseignants, est une réponse concrète à une problématique à laquelle j’ai été confrontée lorsque j’étais professeur de sport. Dès que nous parlions aux élèves d’avenir ou d’orientation, c’était le néant total. « Comment veux-tu que je réussisse alors qu’autour de moi, je n’ai aucun exemple ? », nous répondaient-ils. L’objectif de l’association est de permettre aux jeunes de sortir de cette fatalité en devenant acteurs de leur vie. La participation à un événement sportif mondial est la cerise sur le gâteau, ce qui nous intéresse c’est le projet construit en amont, sa dimension culturelle, l’apprentissage de la langue… Notre premier projet a été la Coupe du monde de football en Corée en 2002. Un pays tellement éloigné de leur culture ! A la fin, l’un d’eux nous a dit : « maintenant que j’ai appris le coréen, je sais que je suis capable de faire n’importe quoi. » C’est précisément le pari de l’association.

Pour SPORT’A VIE, j’ai appris tous les métiers : la conduite de projets, la recherche de financements… J’ai démarché TF1 sans avoir les codes du monde de l’entreprise ! Je n’ai jamais lâché.

Il m’a fallu six mois pour obtenir un rendez-vous avec Patrick Le Lay, le président de l’époque, en appelant tous les jours son secrétariat. En arrivant, il m’a dit qu’il avait 5 minutes à me consacrer. Finalement, nous avons échangé pendant 1h30 et, trois ans plus tard, il me débauchait pour un poste de commerciale à la régie. J’ai beaucoup réfléchi car je pensais à mes petits jeunes des quartiers… Alors, j’ai proposé à Patrick Le Lay de me donner l’opportunité de créer une fondation pour le Groupe TF1. Il m’a accordé sa confiance et il a accepté que je consacre 25 % de mon temps à ce projet. Selon moi, pour avoir un impact sur la société, il n’est pas possible de traiter tous les sujets. Aussi, plutôt que de financer des projets associatifs comme la plupart des fondations d’entreprises, j’ai recommandé que nous portions nos propres actions à intérêt général autour d’un axe, à savoir un programme dédié à l’insertion des jeunes de 18 à 30 ans issus des quartiers.

Le milieu professionnel est la clé. Lorsqu’une entreprise se saisit d’un sujet, elle agit comme un moteur et, à la différence du politique, il y a de grandes chances pour que cela aboutisse. 

Chaque année, nous offrons des postes d’alternance de deux ans pour avoir le temps de les accompagner et leur offrir une formation dans une bonne école ainsi qu’une expérience solide au sein de nos services. Nous allons chercher les jeunes en dehors des écoles puisqu’ils n’y sont pas. Pour cela, nous travaillons avec des associations, des collectivités, les missions locales, Pôle emploi, les Préfectures, qui ont des programmes d’accompagnement mais manquent d’offres des entreprises. Nous avons également banni le CV et la lettre de motivation pour privilégier le format vidéo. Nous ne leur promettons pas d’être embauchés à TF1, même si nous ne les laissons pas partir lorsqu’une opportunité se présente, bien sûr. Quoi qu’il en soit, deux années dans le groupe TF1 sur un CV, c’est tapis rouge. Ils sont recrutés à peine sortis de la Fondation. J’utilise souvent l’image de la caisse à outils. Notre objectif est qu’elle soit pleine à la sortie afin qu’ils n’aient plus besoin de personne.

« Avant on regardait mon nom et mon adresse. Aujourd’hui, le logo TF1 efface tout », a résumé l’un de nos alternants. Notre mission consiste à inverser la vapeur en jouant notre rôle d’intégration au sein de la société. 

Sur quelles ressources personnelles vous appuyez-vous pour faire avancer vos projets et exercer votre leadership ?

J’ai fait beaucoup d’endurance, une discipline dure. Pour moi, les valeurs du sport sont totalement transposables dans la vie professionnelle et personnelle.

Quand on arrive 4ème, quand le podium nous passe sous le nez, il faut avoir le mental pour repartir à l’entraînement. Pour les projets, c’est pareil. Il ne faut jamais lâcher.

La confiance du collaborateur en son projet est essentielle. S’il y croit et s’il l’incarne, il ne peut que réussir. Il y a toujours des managers ou des collaborateurs qui disent non ou sont réfractaires. L’enjeu est de réussir à les convaincre. Malheureusement, dans les grands groupes, la tentation de tout maîtriser est encore forte. On observe la même chose aujourd’hui avec la visio. Les managers se sentent diminués parce qu’ils n’ont plus leur équipe sous la main. Pourtant, je peux témoigner que la confiance démultiplie l’engagement des salariés.

Quel message souhaitez-vous adresser aux futurs leaders ou entrepreneurs ? 

Aux jeunes et aux moins jeunes, je dis : « croyez en vos capacités et ne lâchez rien ! » Vous trouverez toujours un allié qui sera à votre écoute et vous aidera à réussir. Face aux obstacles, dîtes-vous que, la plupart du temps, vos interlocuteurs réagissent par peur de ne plus maîtriser les choses. A vous de rassurer votre N+1 ou vos collègues, de les embarquer avec vous, de leur donner un rôle… Vous êtes les mieux placés pour savoir de quoi vous êtes capables.

Quels sont vos projets et vos défis actuels dans ce contexte si difficile pour les jeunes ?

La crise que nous vivons ne doit pas nous empêcher d’œuvrer pour la jeunesse. Chaque jour, des jeunes m’écrivent pour me dire que leur entreprise ne peut plus les prendre. Pour ma part, je n’ai jamais accueilli autant d’alternants que cette année ! C’est d’autant plus facile avec le télétravail car nous n’aurions pas la capacité physique de tous les intégrer au siège. En revanche, à nous de nous organiser pour que chacun puisse exister à travers les projets. La manière dont nous travaillons à distance responsabilise d’autant plus le jeune apprenti qui a envie de s’investir pour montrer que nous avons eu raison de le choisir.

Plus que jamais, les entreprises doivent jouer leur rôle et trouver des solutions pour accueillir des jeunes en stage ou en alternance parce que, pour nombre d’entre eux, le risque de ne pas être diplômé à la fin de l’année est réel.

Aux entreprises de faire en sorte que les jeunes ne soient pas coupés du monde et d’innover pour que cette génération ne soit pas « gommée » à cause de la situation.

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