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Entretien avec Daniel Lebègue

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CITÉ, LE MONDE PROFESSIONNEL

Conseil d’administration d’associations. Leurs administrateurs ont plus de responsabilités qu’en entreprise ! Entretien avec Daniel Lebègue

Daniel Lebègue « héraut de la transparence », est une des grandes personnalités expertes de la gouvernance d’entreprise et de la gouvernance associative. Après une carrière au plus haut niveau dans la haute administration française et dans la banque, à la Caisse des dépôts et consignations et à la BNP, il préside ou a présidé à la destinée de nombreuses associations, l’Observatoire sur la Responsabilité Sociétale des Entreprises, l’Institut Français des Administrateurs, Transparency International où il mène une véritable campagne contre la corruption. 

Très investis dans le recrutement de dirigeants associatifs salariés comme administrateurs, nous nous intéressons au sein du cabinet YourVoice, à leurs rôles et responsabilités, à leurs liens avec la direction exécutive, ainsi qu’à leurs profils. C’est dans cette optique que nous souhaitions absolument recueillir les propos de Monsieur Lebègue, une des personnalités en ayant la vision la plus claire. Propos recueillis  auprès de Daniel Lebègue le 12 décembre 2016. 

 

Quel est selon vous le principal enjeu de gouvernance dans le milieu associatif ? 

l’Institut Français des Administrateurs, nous avons travaillé sur la gouvernance des associations dès 2005, seulement deux ans après la création de l’IFA. A une époque où dans le monde de l’entreprise, il y avait consensus sur la nécessité de professionnaliser la gouvernance, l’idée que la même dynamique de professionnalisation soit à l’œuvre dans des organisations dites d’intérêt général ne va pas de soi au début des années 2000. A l’IFA, considérant qu’il y a un réel besoin, nous ouvrons les portes aux dirigeants/administrateurs des associations et fondations. 

Jean-Michel Bloch Lainé met en place un groupe de travail sur la gouvernance des associations, et il rédige un premier rapport en 2007 que nous avons porté et diffusé auprès des grandes associations, dans différents cénacles.  

Nous avons par ailleurs créé à l’IFA un club des présidents d’associations. Nous en comptions une trentaine parmi lesquelles la Croix Rouge, le Secours Catholique, et diverses grandes associations des secteurs social et culturel. Nous nous réunissions une fois par mois, et partagions et analysions nos pratiques. A ce moment-là, en dehors de quelques acteurs comme vous, qui apportez des conseils de bonne pratique aux responsables du monde associatif, nous avions fait le constat que les associations vivent dans une grande ignorance de ce qui se fait ailleurs au sein d’organisations comparables de par leur taille et leur objet. En effet, les dirigeants/administrateurs associatifs échangent sur ce que font leurs organisations, leurs actions, leurs plaidoyers, leurs stratégies, et très peu, voire pas du tout à propos de la gouvernance, et surtout de la gouvernance effective et de son fonctionnement, à savoir la composition du conseil d’administration, comment il travailleet quelle est l’interface avec la direction exécutive.  

C’est en revanche une démarche très familière aux entreprises. La dynamique de la gouvernance d’entreprise a été basée sur deux choses, le benchmarkingà savoir l’identification de bonnes pratiques et leur diffusion d’une entreprise à l’autre. Chaque fois que la BNP prenait une initiative au plan de la gouvernance, dans le trimestre qui suivait la Société Générale et le Crédit Agricole dupliquaient ou adaptaient l’initiative prise. Autre élément fondamental : l’autorégulation, au travers du code, d’instances de Place, par exemple pour les grandes entreprises cotées, l’Association Française des Entreprises PrivéesQuand les présidents se retrouvent à l’AFEP, ils parlent de gouvernance et d’enjeux de gouvernance. Cela n’existait pas à l’identique dans le secteur des associations et des fondations. Ce club des présidents de grandes associations est un lieu où l’on échange sur ce qu’on fait, et on en retire des enseignements pour soi-même, en termes d’outils et de pratiques de gouvernance, sur la composition du Conseil, sur le contrôle des comptes, sur les relations entre le conseil et la direction exécutive. 

a-t-il des différences majeures entre les rôles et responsabilités des administrateurs d’entreprises et des administrateurs d’associations ?  

Pour l’essentiel, le rôle, les missions, et leresponsabilités impartis au conseil d’administration et aux administrateurs dans une association sont identiques à ce qu’ils sont dans l’entreprise. Toutefois les textes de référence ne sont pas les mêmes. La loi sur les sociétés commerciales et la loi 1901 diffèrent mais les quatre grandes missions imparties à tout conseil d’administration et donc aux administrateurs sont les mêmes : 

Premièrement, la responsabilité stratégique du Conseil 

Le Conseil détermine, définit le projet stratégique de développement de l’organisation et en contrôle la mise en œuvre. La direction exécutive traduit au quotidien la stratégie en actions. C’est le Conseil qui est en première ligne, en interface avec le management, pour construire le projet stratégique, fixer le cap et vérifier que l’équipe exécutive applique bien, et met bien en œuvre la stratégie. 

Deuxièmement, le Conseil a la responsabilité des comptes. 

Il doit arrêter les comptes, vis à vis de l’extérieur, vis à vis des adhérents, des donateurs, des pouvoirs publics, et de la manière dont on communique la situation et la perspective financière.  

Troisièmement, le Conseil nomme, évalue et organise la relève au niveau du Conseil et de la direction générale. 

Même si les administrateurs sont juridiquement nommés en Assemblée Généralec’est le rôle du Conseil de sélectionner les candidats en amont. C’est aussi le Conseil qui nomme, sélectionne, évalue, fixe la rémunération et organise la succession au moins de celui qui dirige l’équipe permanente, le chef de l’exécutif. Qui d’autre que le Conseil ? Il faut le rappeler ! notamment auprès de certains directeurs généraux qui pensent que c’est à eux de recruter leur successeur. C’est une responsabilité du Conseil.  

Enfin, le Conseil est garant du contrôle interne et de la gestion des risques.  

La loi dit que, pour les sociétés commerciales, le Conseil s’assure de la fiabilité de la solidité du contrôle interne et de la gestion des risques. Avec le contrôle interne, on s’assure que l’entreprise répond aux exigences légales et réglementaires, mais aussi à la conformité et l’éthique de l’organisation. Le Conseil transfert cette responsabilité à l’exécutif mais contrôle et veille à ce que le dispositif soit mis en place, solide, et robuste. 

C’est une responsabilité collective et individuelle de chaque administrateur. Quand on dit cela à un administrateur, il a une prise de conscience voire un choc, parce que l’engagement associatif repose sur le bénévolat, l’adhésion à des valeurs, l’action désintéressée. La majorité des administrateurs ne sont pas rémunérés pour leur mandat. Très souvent compte tenu de ce caractère désintéressé, on résume cela à un exercice amateur du mandat d’administrateur. Ne leur dites pas qu’ils ont des responsabilités légales, juridiques, parce qu’ils ont choisi et accepté d’être administrateur dans une association, en faisant acte de bonne volontéCe qui distingue l’administrateur d’une association, de l’administrateur d’entreprise, c’est que pour le premier, il y a toujours un partage qui se fait sur les valeurs. On peut décider de devenir administrateur dans une association parce qu’on veut faire plaisir ou répondre à une sollicitation de quelqu’un qu’on connait, bien sûr si on est en harmonie avec le projet et les valeurs. Alors que dans l’entreprise, il y a un aspect plus professionnel, j’ai les compétences, l’expériencela formation, que je mets au service de l’entreprise X ou Y. Il est rare que l’on choisisse l’entreprise dans laquelle on est administrateur, on est sollicité, recruté. La démarche associative est différente.  La conséquence est que l’on oublie parfois que les missions, les responsabilités, le rôle de l’administrateur dans une association sont fondamentalement les mêmes que dans une entreprise, c’est là que se produisent les dysfonctionnements.  

Quelle est la répartition des pouvoirs entre administrateurs et direction exécutive ? 

Quand on regarde la loi et la jurisprudence, pour les sociétés commerciales, il y a une bascule qui se fait dans la loi du 24 juillet 1966Jusqu’en 1966, le Conseil était investi de tous les pouvoirs pour administrer la société, c’est-à-dire diriger et contrôler. A partir de 1966, la loi, puis la jurisprudence et les codes de gouvernance, progressivement dessinent une répartition des rôles entre le Conseil et la direction générale, entre le board et le management comme disent les anglo-saxonsun peu différente où le mandataire social est le directeur général – il peut être aussi président-directeur général, mais la plupart du temps il y a séparation des fonctions. Le directeur général engage l’entreprise juridiquement. Le Conseil a quant à lui désormais une fonction d’orientation et de contrôle, et il garde en outre la responsabilité de recruter, d’évaluer, de définir le mandat, les conditions de rémunération et enfin d’organiser la relève et la succession du directeur général, mandataire social. Voilà où l’on en est dans les sociétés commerciales.  

Dans le monde associatif, on s’est arrêté avant la loi de 1966. C’est le conseil d’administration qui est investi des pleins pouvoirs pour administrer l’association, toute la jurisprudence le dit et le répète. Ainsi d’une certaine manière, le rôle, les missions, les responsabilités du Conseil, du groupe collectif des administrateurs sont plus importantes dans le monde associatif, que dans une entreprise commerciale. Je pense que la grande majorité des administrateurs des associations n’en n’ont pas conscience. Ils sont en première ligne lorsque l’on parle de la gouvernance ou de l’administration d’une association. Le Conseil nomme le directeur, et son rôle se limite à cela dans les entreprises. Dans le monde associatif, on est resté dans le système où le Conseil a tous les pouvoirs. Le niveau d’exigence devrait être ainsi plus élevé pour un administrateur associatif que pour un administrateur d’entreprise. Dans la loi de 1901, quelle que soit la taille des associations, il y a obligatoirement un trésorier qui est désigné au sein du Conseilet c’est lui qui a la responsabilité des comptes et la responsabilité pénale qui s’en suit. Dans l’entreprise, le Conseil arrête les comptes, mais il ne les établit pas, ils sont définis par le directeur financier sous l’autorité du directeur généralDans la très grande majorité des associations il y a un « bureau du conseil », c’est une émanation du conseil d’administrationqui se réunit plus régulièrement que le Conseil lui-même. Dans toutes les associations, le bureau prend des décisions qui dans l’entreprise sont sous la responsabilité de l’exécutif, du directeur général ou du comité exécutif, c’est à dire des décisions de gestion, d’administration courante, de nouveaux projets, de l’affectation des moyens financiers, d’un budget à allouer à tel projet… Cet intermédiaire entre le Conseil et l’exécutif qui s’occupe de la gestion courante n’existe pas dans l’entreprise. Autre illustration : lorsqu’une association se retrouve dans une situation financière difficile, et qu’elle doit organiser son redressement ou sa liquidation, la procédure devant le Tribunal de commerce est la même que pour les sociétés. Qui doit alors aller au Tribunal de commerce ?C’est le mandataire social qui organise le redressement ou la liquidation. Et qui est le mandataire social d’une association ? ce n’est pas le directeur général, qui lui fait valoir ses droits de salarié, c’est le président ! Autre exemple, lorsque l’association s’expose à des risques de réputation, vers qui se tourne-t-on ? C’est une fois de plus le président qui est comptable d’un dysfonctionnement, ou plus grave d’une dérive. C’est la même histoire quand des associations, parfois sans avoir pesé tous les risques, mettent en cause, y compris au pénal, tel organisme public, ou telle entreprise. J’en sais quelque chose dans la plainte de Transparency international dans le dossier « des biens mal acquis », l’affaire des détournements de fonds publics par les dirigeants et leurs familles dans trois pays d’Afrique, c’est moi qui l’ai signée ! Qui a signé la plainte, et qui a été assigné en diffamation ? C’est le président d’association que je suis ! Et c’est normal ! Pour engager l’association dans une action et une procédure aussi lourde où on met en cause des dirigeants, politiques, y compris des chefs d’Etatil faut que quelqu’un en assume la responsabilité. J’ai été relaxé sans trop de débatsmais j’ai quand même été mis en examen pour diffamation. C’est le Conseil qui est en première ligne. Est-ce que tous les présidents d’associations sont bien conscients de tout cela ? 

Que pensez-vous de la rétribution des administrateurs d’associations ?  

Les grandes associations et ONG, poursuivent toutes un objectif d’intérêt général, qu’elles affichent et assurent au service du bien commun. Dans l’actualité on entend beaucoup parler des lanceurs d’alerte, à Transparency on dit qu’un lanceur doit agir de bonne foi, sans intention de nuire, au service de l’intérêt général et de manière désintéressée. Nous ne sommes pas favorables à la rémunération des lanceurs d’alerte. Personnellement j’ai la même position pour la fonction d’administrateur et de président dès lors qu’on est au service de l’intérêt général, on le fait de manière désintéressée, sans en tirer d’avantages matériels ou financiers. Mais je n’instituerais pas à l’inverse d’interdiction, il peut y avoir de grandes ONG ou fondations, où la fonction de président est tellement prenante, et implique un tel niveau d’investissement, que le Conseil peut décider de rémunérer le président. Le principe est : intérêt général = action désintéressée. Ce principe peut connaitre des exceptions, c’est alors au conseil d’administration et aux membres de l’Assemblée Générale d’en décider.  

Aujourd’hui, dans les Conseils d’association que je connais, un des sujets qui fait débat, c’est la réflexion qu’on appelle dans le monde de l’entreprise le business model, comment adapter notre projet stratégique aux données nouvelles, comme les nouvelles technologies, ou les problématiques  de financement. En matière de financement dans le monde associatif, il y a de grands bouleversements. Dans de grandes associations dont je m’occupe encore, l’IFA ou l’ORSE, nous ne bénéficions pas de concours publics, nous avons donc lancé de grandes campagnes d’appel au don, de sponsoring, de mécénat, et on s’adresse au monde de l’entreprise… Ce qu’on ne faisait pas il y a 2 ou 3 ans, mais on n’a pas le choix. C’est cela qui nous permet de développer notre association, de recruter des gens compétents, d’investir dans de nouveaux outils technologiques. Il faut faire évoluer le mode de financement, c’est devenu un enjeu central. C’est au niveau des Conseils que l’on doit débattre de cela. Beaucoup d’associations organisent des séminaires stratégiques de Conseil où l’on débat de l’évolution du projet.  

 

Que pensez-vous pour les associations du modèle président salarié ?  

Dans mon esprit le conseil d’administration ne doit pas se substituer à l’organe exécutif, et je pense que si l’on confond les rôles dans la direction quotidienne, on prend des risques. Un principe de bonne gouvernance, dans les grands groupes de l’économie de marché, est de séparer les fonctions de président, non exécutif, de celles du directeur général exécutif, j’y suis plutôt favorable. Il faut clarifier les rôles de chacun. Le président du Conseil non exécutif, peut-être mis en place sous la forme d’un directoire. Laissons aux organisations décider quel système est le plus adapté. 

 

Que pensez-vous de la rétribution des administrateurs d’associations ?  

Dans mon esprit le conseil d’administration ne doit pas se substituer à l’organe exécutif, et je pense que si l’on confond les rôles dans la direction quotidienne, on prend des risques. Un principe de bonne gouvernance, dans les grands groupes de l’économie de marché, est de séparer les fonctions de président, non exécutif, de celles du directeur général exécutif, j’y suis plutôt favorable. Il faut clarifier les rôles de chacun. Le président du Conseil non exécutif, peut-être mis en place sous la forme d’un directoire. Laissons aux organisations décider quel système est le plus adapté. 

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