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Interview de Jérôme Schatzman, directeur du CISE de l’ESSEC

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IMPACT & INNOVATION SOCIALE

Jérôme Schatzman, directeur du CISE – Centre Innovation Sociale et Ecologique de l’ESSEC

Dirigeants et futurs dirigeants, cap sur l’impact avec Jérôme Schatzman, directeur du CISE – Centre innovation Sociale et Ecologique de l’ESSEC

Quel est votre parcours professionnel ?

Mes débuts au sein de l’entreprise d’insertion La table de Cana m’ont permis d’éprouver qu’il est possible de concilier objectifs sociaux, objectifs de gestion et « fun » (fêtes, événements…). J’ai voulu voir ensuite si cela était applicable à d’autres secteurs, en l’occurrence le prêt-à-porter et le textile, puis à une grand entreprise. Mon fil rouge c’est : « comment utiliser l’activité économique comme un moyen et pas comme une fin ? »

Je suis arrivé à l’ESSEC avec ma double casquette d’entrepreneur social et d’ancien directeur du développement durable de l’Occitane. Aujourd’hui, je dirige le Centre Innovation Sociale et Écologique. Notre rôle : accompagner des entrepreneurs sociaux pour les aider à optimiser leur impact ; faire évoluer la notion de performance pour qu’elle inclut les enjeux sociaux et écologiques ; participer à la formation des futurs dirigeants économiques pour qu’ils intègrent naturellement l’analyse des impacts sociaux et environnementaux à leur prise de décisions.

D’après votre expérience, est-il possible de rechercher de l’impact dans tout type d’organisations ?

La question du temps entre en jeu. La marge de manœuvre est différente entre une entreprise cotée en Bourse jugée sur ses quarter results, un groupe mutualiste fondé pour assurer les gens et non faire du profit, ou encore une ETI familiale qui s’inscrit dans le temps long.

La mère des batailles réside dans la définition de ce qu’est l’impact, de ce qu’est la performance ? À l’instar des réflexions sur le PIB qui n’est pas forcément le plus pertinent pour évaluer le niveau de vie, nous devons définir précisément « ce mieux » que l’on appelle l’impact positif. C’est précisément, depuis 2017, la mission de notre laboratoire d’évaluation d’impact qui propose par exemple des référentiels d’évaluation par secteur d’activité (indicateurs pertinents, méthodologie, exemples…), pour permettre aux entreprises de prendre en main ce grand chantier de la définition de la performance.

« Il s’agit de valoriser l’impact social et environnemental au même niveau que la performance économique et financière. Non pas les opposer mais leur donner la même importance.

Car économie, social et environnement ne sont pas antinomiques. Tout l’enjeu consiste à trouver des systèmes où social et économique sont compatibles, par exemple à travers un modèle tel que l’économie circulaire, ou à travers la valorisation de l’impact positif. L’idéal pourrait être : « plus je crée de l’impact, plus je gagne de parts de marché et plus j’inscris l’entreprise dans le long terme ».

Un autre question fondamentale est : « qui paie l’impact ? » Ce peut être des coûts évités à la collectivité, ou le client final qui consent à payer plus cher, ou encore l’actionnaire qui accepte de moindres intérêts, voire les salariés prêts à baisser leur rémunération car cela a du sens. Dans tous les cas, quelqu’un doit financer cette orientation, si possible celui qui en bénéficie.

Quelles doivent-être, selon vous, les qualités et compétences d’un dirigeant à impact ?

Plutôt qu’un profil type de leader à impact, je préfère parler d’ouverture et de connaissance du monde. J’adore l’approche du Bachelor Act de l’ESSEC « Apprendre à conduire les transitions », qui a pour but de former des dirigeants qui seront les acteurs du changement. En plus de compétences de gestion incontournables – et pas uniquement orientées profit – , ils devront surtout être en mesure de comprendre leurs interlocuteurs dans leur diversité et être en capacité de créer du lien entre des gens très différents.

Cela dépend aussi des roles models qu’on leur donne et qu’ils se choisissent. Il y a quelques années, les dirigeants qui intervenaient dans les écoles de commerce à la rentrée étaient des standards de réussite financière. Aujourd’hui, ce sont des dirigeants qui ont réussi à trouver un équilibre entre leur vie professionnelle et personnelle ou à donner du sens à leur carrière.
Pour autant, je ne pense pas que l’on puisse parler d’une génération de leaders à impact. S’il est certain que la conscience des enjeux sociaux et environnementaux augmente, ils ne représentent pas encore la majorité des profils en école de commerce et les critères de classement des grandes écoles n’intègrent que trop peu ces dimensions.

Aujourd’hui, personne n’ignore ce que sont la RSE et les critères ESG, et c’est tant mieux. Mais si l’on raisonne en cycles, nous sommes passés d’un focus sur la révolution du digital à la prise de conscience du changement climatique et à l’engagement pour l’impact. Désormais, l’IA devient la grande préoccupation. Si tout s’ajoute, c’est super ! En revanche, si une mode en remplace une autre et si les questions de transition sociale et écologique sont oubliées, ce serait catastrophique !

Quelles sont les conditions de succès d’une démarche d’impact positif dans une entreprise ?

Comme pour tout changement, le nerf de la guerre consiste à embarquer les équipes dans le projet en les rassurant d’une part, et en leur montrant comment ils seront en mesure d’atteindre leurs objectifs d’autre part, que ces objectifs soient économiques, financiers, d’image ou d’attractivité. S’inscrire en donneur de leçon ne fonctionne pas.

Une manière de faire pourrait être, par exemple, de dire : « nous allons travailler d’une autre manière et cela va alimenter notre marque employeur, donc nous faire gagner un temps considérable dans les délais de recrutement. » Ou bien : « valoriser nos impacts positifs contribuera à fidéliser nos clients ». Ou encore : « de nouvelles normes vont arriver, mieux vaut être pionnier que suiveur, anticiper que subir. »

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