Jérémie Secher, un directeur d’hôpital « out of the box »
De la direction d’hôpitaux à un poste stratégique au sein d’un acteur majeur de l’assurance, fort d’un parcours riche d’aller-retour en Fédération notamment et d’engagement syndical, Jérémie Secher démontre que les organisations gagnent à faire confiance à la prise de risque et aux parcours hybrides. Un mouvement qui semble faire de plus en plus d’émules chez les directeurs d’établissements hospitaliers.
Pouvez-vous nous parler de votre parcours, qui vous a mené de l’hôpital au monde mutualiste ?
« Au cours de la vingtaine d’années passée dans le monde hospitalier, j’avais déjà opéré quelques pas de côté par rapport à un parcours classique. Après avoir été directeur adjoint de CHU, j’ai rejoint la Fédération hospitalière de France (FHF) en tant que directeur de cabinet du président, Jean Leonetti, et du délégué général, Gérard Vincent. Donc des fonctions d’animation des communautés hospitalières, de stratégie et d’influence auprès des pouvoirs publics et des partenaires du monde hospitalier. Par la suite, alors que je dirigeais des groupes d’établissements hospitaliers, j’ai présidé le Syndicat des manageurs publics de santé (SMPS). De fait, je partageais mon temps entre les territoires et le national en interaction avec les pouvoirs publics.
En 2018, par un concours de circonstances, la directrice de la MGEN, Isabelle Hébert, m’a proposé de la rejoindre pour devenir directeur général adjoint Santé et diriger le Pôle soins du groupe Vyv. Cela a été ma bascule dans le monde privé non lucratif. En l’occurrence, à nouveau des missions d’animation sur un champ d’activité plus large que le champ hospitalier, qui m’ont permis de pousser le curseur en termes de connaissance globale des activités de santé et d’acquérir une vision complète de la prise en charge des patients au niveau des territoires, notamment les passerelles entre acteurs privés non lucratifs ou lucratifs, publics, libéraux…
Puis en 2022, à la faveur des enjeux d’actualité, le nouveau directeur de la MGEN, Fabrice Heyriès, m’a confié le tout nouveau poste transverse de DGA Stratégie Transformation Coopérations et Risques, créé pour actualiser la stratégie de la mutuelle au regard d’un changement historique de métier. En effet, la MGEN est passée de l’assurance santé / prévoyance individuelle à l’assurance santé / prévoyance collective, impliquant une transformation importante de l’entreprise. Une bascule encore plus radicale, quittant le Livre III – soit les activités de prévention et de promotion de la santé, d’action sociale et de gestion des établissements mutualistes – pour entrer de plain-pied dans le secteur assurantiel du Livre II, plus particulièrement sur les enjeux stratégiques et de transformation assurantielle, de coopérations, de risques et de RSE.
Quelle a été votre motivation pour opérer ce mouvement ? Et quelle a été votre stratégie pour ce faire ?
C’est la curiosité et l’opportunité de remettre les compteurs à zéro qui ont guidé mes choix. J’ai eu la chance d’occuper assez jeune des responsabilités de direction de groupes hospitaliers, ce qui m’a permis d’envisager ce tournant en milieu de vie professionnelle comme un « risque » très stimulant. Rejoindre le monde de l’assurance à 45 ans est encore plus challengeant dans la mesure où il s’agit de changer de métier et d’écosystème, sans véritable réseau, ni connaissance particulière de l’assurance. Pour m’aider à franchir les différentes étapes, en plus de mes fonctions très opérationnelles, j’ai pu compter sur le MBA Executive du Centre des hautes études d’assurances.
Je suis convaincu que les fonctions de directeur d’hôpital permettent d’aborder des horizons larges et d’être très bien outillé. L’exercice hospitalier implique des compétences généralistes poussées, alliées à des capacités techniques sur des sujets variés.
« L’exercice hospitalier est un gage de socle solide de compétences pour appréhender des fonctions différentes dans des écosystèmes différents. »
Y compris dans l’assurance, un secteur d’activité qui valorise l’expertise et la technicité.
Votre parcours est-il révélateur d’un mouvement général des directeurs d’hôpitaux ?
En tant qu’ancien président du SMPS, je peux témoigner que les mouvements hors du monde hospitalier ont toujours existé, certes majoritairement vers des administrations centrales, des fédérations ou des cliniques ESPIC (Établissement de Santé Privé d’Intérêt Collectif). Si la dynamique n’est pas nouvelle, la nouveauté réside dans le fait d’aller vers des secteurs significativement différents. Nous sommes quelques-uns dans ce cas et je perçois que cela se généralise dans la jeune génération. De nombreux collègues m’appellent dans le cadre de leur réflexion sur leur projet professionnel, avec la volonté de découvrir de nouveaux horizons. Moi-même, depuis que je suis à la MGEN, j’ai recruté plusieurs directeurs d’hôpitaux.
« Je suis convaincu de la richesse de ces passerelles aussi bien pour l’hôpital que pour les écosystèmes que ces profils rejoignent. Nous avons tous à gagner à hybrider les compétences. »
À condition toutefois de faciliter davantage encore les retours dans le giron hospitalier, ce à quoi travaillent les organisations professionnelles.
Quelle compétences ces profils peuvent-ils faire valoir dans le monde de l’entreprise ?
De par mon profil atypique, un pied dans les territoires et un pied au national, j’ai pu m’appuyer sur une double approche très utile à des fonctions « d’état-major » en entreprise. Il s’agit d’articuler connaissance du système et des acteurs de santé au sein des ARS, des ministères, au Parlement…, et maîtrise des sujets techniques et du fonctionnement des établissements, en particulier les enjeux avec les différents acteurs sur le terrain.
« Lorsque l’on fait un tel pas de côté, la qualité première à adopter est l’humilité. »
Tout simplement parce que les acteurs du secteur privé ne nous attendent pas et nous demandent de faire nos preuves en dehors de notre parcours passé ou de notre CV. Il nous faut accepter de repartir à zéro, loin de nos bases et de notre zone de confort. Cela est encore plus vrai dans le cas d’un véritable changement de métier.
Je vois plus particulièrement deux types de compétences intéressantes pour les recruteurs. Pour commencer, un profil hospitalier sait manager dans un environnement très complexe et incertain. Un style de management qui met de côté les logiques hiérarchiques pour utiliser des leviers managériaux correspondant aux attentes du secteur privé. L’autre grand intérêt pour les recruteurs est de s’adjoindre des profils « bilingues », c’est-à-dire qui parlent le langage du public et le langage du privé, avec la compréhension des logiques et de la rationalité du public, et la capacité à s’intégrer dans le fonctionnement du privé. »