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Interview de Emmanuel Grégoire, Premier adjoint de la mairie de Paris

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Interview d’Emmanuel Grégoire, Premier adjoint à la Mairie de Paris 

Quelles mesures avez-vous mises en place pour accompagner les agents pendant la crise sanitaire ? 

Environ 1 500 agents par jour sont restés sur le terrain, en roulement, sur trois missions essentielles : l’accueil de la petite enfance et les écoles, la propreté et le médico-social1. Dès le début du confinementtous nos agents ont été dotés de 5 masques chirurgicaux par jour. D’une part, la Maire a jugé que c’était protecteur, donc indispensable. D’autre part, nous étions face à un risque réel d’exercice du droit de retrait. Or, faire fonctionner la ville avec seulement 1 500 agents de terrain, c’est déjà extrêmement complexe ! En ce qui concerne le climat social, je salue l’esprit de sérieux des syndicats tout au long de la crise, même s’il existe une inquiétude légitime liée à la reprise des missions. 

Nous avons également renforcé et fait évoluer la cellule d’écoute et de médiation des conflits professionnels, créée lorsque j’étais adjoint aux ressources humainespour assurer l’accompagnement psychologique des agents sur le terrain ou confinés 

De quelle façon la Ville de Paris a-t-elle appréhendé le déconfinement ? 

Paris perdu environ 20 millions de visiteurs. Cela affecte durablement la fréquentation de l’espace public qui redémarre progressivement. Un certain nombre de paris que nous avons faits en termes d’urbanisme tactique fonctionnent, notamment le développement du vélo. 

« De ce point de vue, la crise sanitaire a été un accélérateur. Il n’y a pas de disruption par rapport à la culture de la maison et ce que nous portions déjà politiquement : les pistes cyclables, la piétonisation, les mobilités alternatives. Les agents sont habitués à réaliser ce type d’aménagements. »  

Le secteur de la propreté est plus compliqué parce que tous les agents ne sont pas revenus et nous sommes en souseffectif. Les agents retournent progressivement au travail. Mi-juin, nous aurons retrouvé une capacité opérationnelle proche de la normale. 

 

La crise a révélé l’agilité des collectivités locales. Quels enseignements tirez-vous des derniers mois ? 

L’enseignement est mondial. Les États se sont retrouvés coincés dans leurs lourdeurs habituelles. Ils n’ont pas fait preuve de leur efficacité, y compris sur des missions régaliennes essentielles, telles que les masques et les tests, pour lesquelles le fiasco a été absolu.  

« Les gouvernements locaux ont démontré leur agilité, que ce soit les régions, les communes ou les départements. Je mettrais un bémol : nous n’avions pas la même pression d’efficacité. » 

En effet, il n’est pas question de dire que les collectivités territoriales auraient pu se substituer aux Étatsla Ville de Paris, nous aurions aimé mettre en place une fourniture universelle de masques mais nous n’en avons pas les moyens matériels et financiersFournir 2,2 millions de masques textiles est déjà un exploit et, vous avez vu dans les médias, ce n’est pas parfait.  

L’épidémie a pointé du doigt le fait qu’en France, il faut une loi à chaque fois qu’on veut planter un clou. Ce qui est un frein en règle générale, provoque un blocage majeur en période de crise. Il est impensable, par exemple, que la décision de rouvrir les parcs et jardins relève du Président de la République ! Pour voir les choses de façon positive, je pense que ce constat ouvre la perspective d’un nouveau train de décentralisation. 

A l’échelle mondiale, nous réalisons en ce moment des choses qui prennent des années en temps normalA ce titre, les pistes cyclables éphémères aménagées sur 20 km dans les départements limitrophes, qui étaient jusqu’à présent ultra réticents à cette démarche, sont impressionnantes. 

« C’est la démonstration spectaculaire que l’on peut transformer la ville beaucoup plus vite qu’on ne le croit. » 

   

La crise sanitaire a-t-elle fait émerger un besoin de compétences nouvelles ? 

L’administration parisienne est l’administration la plus performante avec laquelle j’ai eu l’occasion de travailler. Elle est d’une efficacité redoutable, avec une organisation quasi militaire, dans le bon sens du terme 

Une crise demande plus de transversalité et de capacité d’analyse. Des compétences en termes de data analyticsnotamment pour faire le lien entre les données sanitaires et les données démographiques, pourraient être un plus mais c’est entrer dans le détail. Notre mission est avant tout de ramasser les poubelles et d’ouvrir les écoles. 

Une des leçons de la gestion de la crise à l’hôpital, c’est de permettre aux compétences de s’exprimer. Avez-vous fait le même constat ? 

Une crise est sans doute le moment le plus sclérosant pour l’innovation, tant il faut des chaînes de commandement strictes et rapides.  

« A mon sens, faciliter l’expression des compétences se travaille hors période de crise. C’est une culture administrative à mettre en place sur le long terme à l’aide des soft skills, de la formation… »  

Le laboratoire d’innovation et de design thinking, que nous avons créé, composé de psychologues, de neuropsychologues et de designers, a été mobilisé pour préparer les plans de retour d’activité. Asein du Secrétariat général, des cellules ont pour mission d’explorer le champ des possibles. Elles sont à l’origine d’idées comme le passeport d’immunité, COVISAN ou l’étude de séroprévalence. 

Avez-vous échangé et mutualisé avec d’autres métropoles internationales ? 

Toutes les semaines, une vidéoconférence était organisée avec les maires des grandes villes. La délégation générale aux relations internationales préparait des notes de benchmark sur l’espace public, les écoles, la mobilité… Nous nous sommes inspirés d’autres villes et des villes se sont inspirées de Paris. Les politiques de mobilité et de piétonisation sont les plus remarquablesA Milan et Londres, des voies entières ont été fermées, sur des superficies à côté desquelles Anne Hidalgo passe pour une petite joueuse ! 

Dans un secteur moins connu mais capitalnous avons modernisé et amélioré les politiques d’aide alimentaire en mode « branle-bas de combat »Du jour au lendemain, nous nous sommes rendus compte de l’effondrement des acteurs classiques de soutien aux plus précaires. Il a fallu inventer des soupes populaires à très grand volume avec les associations. Nous avons produit plusieurs dizaines de milliers de repas par jour au plus fort de la crise. 

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